LA MÉMOIRE QUI FUME

Source : Archives du Parlement du Canada

Une histoire

de la démocratie dans l'histoire...

La bibliothèque parlementaire disparue était la deuxième du genre dans le Nouveau-Monde. Elle est apparue deux ans après celle du Congrès américain à Washington et quinze ans avant celle du Parlement de la Grande-Bretagne. La base de sa collection, dont une majorité de livres provenant de France, d'Angleterre, des États-Unis, et dans une  moindre mesure du Canada (de Québec et Montréal en particulier),  s'est d'abord surtout développée au Bas-Canada, à Québec, ville-fort, frontière et berceau de la société canadienne. 
C'est d'ailleurs là où
la lutte pour la responsabilité du gouvernement colonial et ses ministres vis-à-vis des élus, qui n'étaient toujours pas choisis au suffrage universel, a pris forme...

Une idée portée notamment sous les lumières du penseur créatif et chercheur iconoclaste Pierre-Stanislas Bédard, dont les visions et la plume, c
omme d'autres lettrés démocrates avant et après lui, lui ont valu plus d'une fois l'emprisonnement sous le régime autocratique des habits rouges.
Des idées de Bédard sont cependant intégrées et adaptées en 1848, année précédant l'émeute destructrice, alors que la Couronne concède la forme du "gouvernement responsable" pour l'administration de sa colonie, réunissant depuis peu celles du Haut et du Bas-Canada... une réforme nécessaire. Le saccage du Parlement, a contrario, traduit un hargneux dédain de la démocratie. Les tories refusent de partager l'autorité politique.


Des tensions entre liberté(s) décolonisatrice(s) constituante(s) et continuité(s) totalitaire(s), voire dictature militaire, traversent le contexte des sinistres événements du 25 avril dans son historicité. En regard
de la démocratisation - bien que timide et partielle - du Canada à partir de cette époque, les gestes sans équivoque posés contre le Parlement et ses bibliothèques avaient un sens régressif. La quasi totale impunité dont ont bénéficié les responsables vis-à-vis des instances de justice locales ayant à traiter ces actes criminels traduit tant sa précarité que l'horizon limité des ambitions du processus de modernisation et de décolonisation. Le régime impérial s'en sort également bien avec les réformistes au pouvoir qui acceptent la nouvelle politique coloniale un peu plus démocratique sans menacer sa position de tête. Une transition que l'attentat des tories contre le Parlement a bien servie en s'offrant comme un repoussoir.


Début de la table des matières du catalogue de la bibliothèque de l'Assemblée législative du Canada de 1846 - Source : Archive.org

Un foyer des lumières qui flambe

Deux bibliothèques étaient reliées au Parlement du Canada-Uni à Montréal, saccagé par les Anglais tories en 1849 : celle du Conseil Législatif et celle de l'Assemblée Législative. Cette dernière, publique depuis 1825, était celle des élus. C'est celle dont feu feu joli f restitue le contenu ce printemps. Fondée en 1802, son développement accompagna les efforts des Canadiens pour prendre l'élan des Lumières et investir les libertés et pouvoirs politiques modernes dans la vie publique.

La littérature et l'écriture constituaient à la fois des lieux de mémoire et des espaces productifs de relations, de définitions et d'avènements. Elles s'avéraient des portes d'entrée et de sortie pour les Canadiens, qui voulaient écrire leur histoire collective propre, mais aussi entrer dans l'histoire en tant que société moderne, nation politique souveraine, et même en fondant une république démocratique pour tou·te·s (projet des Patriotes avec Louis-Joseph Papineau). Soulignons-le : "Le Canada est le seul pays américain à ne pas avoir réalisé son indépendance au 19e siècle" (Bellavance, 2000). 

L'exploitation et la discrimination coloniale sous le règne des princes marchands loyaux à la Couronne britannique ne facilitaient évidemment pas de tels exercices, au contraire... Qui plus est, aux dictats de l'Empire s'ajoutaient la censure et le contrôle de l'Église et son clergé dans les petits et grands Canadas (métis et "français"), et à l'endroit des sociétés amérindiennes. Ces autorités d'anciens régimes pouvaient empêcher certaines expressions singulières et critiques, en plus de se prendre pour Dieu en regard de l'accès à la littérature, des connaissances et de l'exercice de libertés et de responsabilités politiques. La diffusion des idées réformistes, libérales, nationales et démocrates, même modérées, en était affectée.

L'écriture, les livres et la lecture permettaient néanmoins des percées, souvent en lutte, agissant comme médiums de socialisation et d'éveil scientifique, artistique, politique et philosophique. L'émoi qu'a causé la violente destruction de la bibliothèque n'est pas étranger au rôle avancé de veille et d'ouverture aux idées modernes et aux savoirs du monde que cette institution, témoin de nombreux combats, a joué au coeur de ces batailles pour une société plus libre et plus juste.


Burning of the Parliament Buildings in Montreal in 1849 - Charles William Jefferys - Source : Wikicommons

Où sommes-nous donc ?

Pour l'Atelier Mange-Camion, la redécouverte des contenus de la bibliothèque disparue et leur restitution symbolique sont des moyens d'aborder avec un regard critique la trajectoire et l'horizon de la démocratie dans l'histoire, mais aussi la place des livres, de la littérature et de l'écriture au coeur des éveils et des élans qui ont donné le ton aux défis politiques à partir du 19e siècle... Un siècle dont la mémoire historique permet de situer plusieurs enjeux au coeur des défis politiques modernes.

Durant cette ère de transformations sociales, culturelles et politiques portées par l'optimisme vis-à-vis du progrès technique et humain, l'Europe connaît notamment des luttes révolutionnaires majeures. 
Aux mouvements d'émancipation bourgeois et républicains s'ajoutent massivement ceux des ouvriers. La vision matérialiste de l'histoire sociale, que l'on ne trouve que peu ou pas dans le catalogue de la bibliothèque de l'Assemblée, circule largement par le biais du Manifeste du parti communiste. 1848, l'année de sa publication, est aussi l'année du Printemps des peuples en Europe. De ce côté de l'océan, dans les Amériques, des gestes clairs traduisant une volonté de décolonisation et d'affranchissement face aux empires, posés par des sociétés autochtones, succèdent à la phase de colonisation.

Au Canada, les premières luttes ouvrières naissent dans les immenses chantiers maritimes qui bordent la capitale du Bas-Canada, Québec, et sa rive sud. Elles s'étendront avec l'industrialisation à partir de la mi-temps du siècle. Le poids démographique de Québec égale alors celui de Montréal et dépasse nettement celui de Toronto. Dans la suite des événements de 1849, l'économie mercantile se réorganise sans trop de mal autour d'un noyau capitaliste et industriel à Montréal. Un système de canaux, puis un vaste réseau ferroviaire s'y subordonnent et permettent aux
marchands et investisseurs de se tourner, encore soutenus par l'administration coloniale, vers d'autres conquêtes, faisant violence à de nombreuses communautés de l'Ouest.

L
a population de Montréal surpasse dans le même mouvement celle de Québec. Par contre, la métropole perd son titre de capitale coloniale du Canada-Uni. Son architecture demeurera néanmoins marquée par sa formation sous tutelles impériales. Quant à elle, la place D'Youville où était situé le Parlement anéanti est depuis le 25 avril 1849, jour du saccage, un espace vide. Ce vide et ses cendres nous interrogent à propos de l'histoire, du présent et de l'horizon des luttes pour une société plus juste, plus libre et plus responsable. À partir de là... ? À partir de quoi... ?

Mathieu Parent
artiste initiateur du projet

Lecture suggérée : La nuit de feu des livres et des archives du Parlement (Gallichan, 2013)

Arrière-plan : Salle de l'Assemblée législative dans l'édifice du marché Sainte-Anne à Montréal, vers 1848 - James Duncan - Source : Wikicommons

En entête : la Maison de Louis-Hippolyte LaFontaine : un site du patrimoine canadien
en état avancé de dégradation, Montréal, 2017 - Crédit : Mathieu Parent

Montréal, Québec, Canada
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